Témoignage : C’est de l’esclavage moderne

Rencontre avec des ouvrier agricoles détachés en France

C’est Jean Yves Constantin qui nous ouvre la porte.  Ils sont là : des Equatoriens, des Boliviens, des Péruviens, tous des travailleurs agricoles qui pendant un temps ont dû vivre l’enfer.

Ils ont la peur dans les yeux. Des sudaméricains émigrés en Espagne, puis amenés en France en leur faisant miroiter un avenir meilleur. Des hommes et des femmes qui ont réussi à échapper à une sorte d’esclavage moderne qui se déguise en travail détaché.

« J’ai travaillé comme ça pendant 15 ans et à la fin, quand je suis allé voir, je n’avais que 8 ans de cotisations »  

Ils étaient absents lors du procès contre l’entreprise Terra Fecundis mais c’est bien d’eux qu’il s’agit.

On entend le soulagement dans leur voix quand ils disent qu’ils ne sont plus dans la même situation ; on entend aussi l’inquiétude qu’ils ressentent quand ils parlent de leurs compatriotes, ceux qui aujourd’hui continuent à travailler dans cette forme d’esclavage moderne. Il ne faut pas l’oublier : les entreprises comme Terra Fecundis ainsi que les exploitations agricoles qui font appel à elle continuent de sévir un peu partout.   

« Si l’un d’entre nous tombait malade, il était soigné en France, puis la Sécurité sociale française demandait à l’Espagne de rembourser les frais et, au final, l’entreprise d’intérim, nous obligeait à rembourser le prix des soins »

« On ne nous payait jamais les heures supplémentaires »

« Quand il y aura une visite de l’inspection du travail , on le sait deux jours avant car tout devient propre et apparaissent, comme par magie, le savon, le papier toilette et les serviettes »

« Pour les pommes, parfois on nous fixe un quota d’arbres à faire par jour, j’ai vu des camarades se priver de leur pause déjeuner pour arriver à remplir leur quota »

« Il y a des exploitations où nous devons manger dehors même l’hiver »

Pourquoi ils sont restés dans cet enfer  ?


« Il n’y avait plus de travail en Espagne. Pour payer l’école des enfants, le logement, à manger, … il me fallait travailler. La solution c’est d’arriver à avoir une carte d’identité espagnole comme ça tu es libre d’aller travailler où tu veux en Espagne ou ailleurs. Mais pour cela il faut faire le dossier, et travailler pendant que le dossier est à l’étude. Si tu arrêtes de travailler il faut recommencer le dossier à zéro. Pendant ce temps-là tu es obligé de baisser la tête. »

On ressort de cette rencontre bouleversé. Ces hommes et ces femmes remercient de s’exprimer sans que cela ne soit un risque pour leur travail ou leur séjour ; ils sortent à peine de ce système et essayent déjà d’aider les autres ouvriers. Ils voient avec espoir qu’il y a des organisations pour les accompagner, les rendre visibles et faire entendre leurs voix. La CFDT et l’UGT seront au rendez-vous.