Saisonniers agricoles : nos fruits au goût amer

Deux pays, deux syndicats, une seule cause : la défense des travailleurs agricoles détachés

L’union fait la force : la Cfdt Agroalimentaire et l’UGT-FICA (Federación de Industria, Construcción y Agro de la Unión General de Trabajadoras y Trabajadores – Espagne) s’organisent pour travailler ensemble

Fraude au travail détaché : Le Syndicat CFDT Agroalimentaire et le syndicat espagnol UGT-FICA se rencontrent pour établir des liens pour des actions communes.

Le dossier Terra Fecundis (voir le jugement ici) a mis en évidence l’absence de scrupules dans le secteur du travail détaché agricole. La difficulté de communication institutionnelle ainsi que la lourdeur des procédures internationales laissent une brèche aux entreprises pour frauder.

« La FGA-CFDT, très engagée sur ce dossier depuis 2012, salue la décision très attendue du Tribunal Correctionnel de Marseille qui condamne la société à la peine la plus lourde : 500.000 euros d'amende. Ses trois dirigeants espagnols ont écopé de 100.000 euros d'amende et de quatre ans de prisons avec sursis. C’est une victoire sans précédent. » -Communiqué de presse de la FGA lors du jugement.

Travail détaché vs établissement

« Ce n’est pas le procès du travail détaché, il s’agit du procès de ceux qui détournent, qui fraudent, qui multiplient les infractions au nom du travail détaché. »  Ces mots accompagnent l’explication de Me Vincent Schneegans, avocat de la CFDT, qui explique les deux notions en jeu :

Une entreprise établie sur le territoire national doit s’inscrire dans le registre de commerce du pays et payer les impôts et charges correspondants.

Le travail détaché est inclus dans le règlement européen mais il a été habilement détourné par Terra Fecundis pour dissimuler ce qui est, en réalite, de l’établissement.

Pour que le travail détaché soit considéré comme tel, il faut un certificat A1 émanant de la sécurité sociale du pays de départ et indiquant que la personne salariée détachée est bien assurée social dans le pays de départ quand le travailleur est en France.

L’URSSAF et le Comité de liaisons européennes la DGSS en Espagne, en 2013 et 2017 ont demandé le retrait du certificat A1 parce que les autorités françaises considéraient que les certificats avaient été délivrés de façon frauduleuse. Ce mécanisme complexe de demande de retrait a contribué à prouver la fraude mise en place par Terra Fecundis.

La situation aujourd'hui

Jean Yves Constantin, élu à la MSA (Sécurité Sociale Agricole) pour la CFDT, et responsable du dossier des travailleurs agricoles au syndicat AGRO (SGA) pose les éléments sociaux qui interviennent. Dans cette affaire il est impossible de ne pas tenir compte de l’aspect social car il est la base de tous les abus commis contre ces ouvriers.

L’organisation mise en place vise à désocialiser les travailleurs : pas de contacts extérieurs pendant le temps de travail, habitat isolé (et indigne !), droit du travail annoncé comme hors du champ social local, règles propres aux lieux de vie,… sans oublier l’extrême précarisation.

Il s’agit de personnes dans une extrême précarité, la plupart du temps des immigrés latino-américains et maintenant d’Afrique subsaharienne, qui travaillent pour envoyer une partie de leur rémunération au pays. Ces familles, qui ont besoin de rester en Europe et à qui on fait miroiter un titre de séjour en échange de la servitude qu’on leur impose, ont quitté leurs pays d’origine pour trouver ici des situations très douloureuses. La plupart d’entre eux ne parlent pas français, ceci augmente la précarité.

« Si nous restons en silence face à ce qui se passe, nous aurons aussi une partie de la responsabilité de cette souffrance infligée à des travailleurs vulnérables » dit Jean Yves Constantin.

Lucia Garcia-Quismondo et Antonio Garcia, de l’UGT, racontent comment l’entreprise fait preuve d’un énorme cynisme : leurs bus sont dotés de vidéos qui, pendant le voyage, parlent aux ouvriers de leurs droits.

Ils rappellent qu’Il y approximativement 500 entreprises agricoles qui utilisent les services des sous-traitants ce qui dérive facilement en violations massives des contrats de travail. Il faut une certaine complicité entre quelques acteurs pour que cela puisse arriver. C’est ce que le jugement prononcé à l’issu du procès de Terra Fecundis a commencé de mettre en évidence.

Du côté espagnol le constat de l’UGT-FICA est que les travailleurs ont peur et ils ne dénoncent pas parce qu’ils ont besoin du travail et que l’entreprise met en place des pressions fortes sur les personnes et leur famille. Les syndicalistes espagnols font état de pratiques similaires de chaque côté de la frontière : des avantages pour l’un des salariés du groupe pour que celui-ci contrôle les autres, des heures supplémentaires non payées, des conditions d’hygiène lamentables, des logements non adaptés, de la connivence avec les autorités locales pour échapper au contrôle de l’Etat.

En parlant des propriétaires des exploitations qui utilisent cette main d’œuvre, Antonio Garcia dit clairement : « je les connais, dès que je les entends dire ‘chez eux c’est pire’, je sais ce que cela veut dire »

Les représentants de l’UGT-FICA parlent de leur désarroi face à la complexité d’une situation qui touche les deux pays. Cette rencontre ouvre des possibilités pour une meilleure coordination des actions et pour mieux accompagner et défendre ces travailleurs à l’avenir.

La position de la Fédération CFDT Agricole

Face au fléau de ces pratiques, la secrétaire nationale FGA-CFDT, Hélène Deborde, précise que la CFDT a décidé de se porter partie civile contre ces entreprises fraudeuses à chaque fois qu’il y aura la possibilité de le faire.

Il est du devoir de la CFDTde défendre ces salariés victimes du dumping social ou des entreprises sans scrupules qui bafouent leurs droits.

C’est pour faire face à cette responsabilité que la CFDT et l’UGT-FICA se réunissent aujourd’hui. Avec la législation européenne le travail en commun des deux syndicats devient une évidence.

CFDT – UGT : Rencontre à Marseille le 21 et 22 octobre 2021

Pendant la rencontre les deux syndicats ont pu non seulement renforcer des liens déjà en place mais aussi entendre la voix des organismes français : DREETS, Inspection du travail, MSA, URSSAF. Il était important d’entendre leur analyse et leur position et de leur poser certaines questions pour mieux faire avancer les dossiers encore en cours et ceux à venir.

CFDT – UGT les possibles actions communes

Les participants :

Pour la CFDT: Hélène Deborde, Secrétaire fédérale de la FGA ; David Veyer, responsable régional de la FGA ; Patrick Lieutaud, Secrétaire Général du SGA Bouches du Rhône ; Jean Yves Constantin, Délégué CFDTà charge du dossier des saisonniers agricoles et élu à la MSA ; Cyril Jouan, Secrétaire Général de la CFDT13 et Me Vincent Schneegans, avocat de la CFDT.

Pour l’ UGT-FICA : Lucia Garcia-Quismondo et Antonio Garcia

Invités : Monsieur Jerôme Corniquet, directeur adjoint à la DDETS, Monsieur Vanrokeghem de l’URACTI (en Visio conférence), Mme Anne Laybourne, Secrétaire Générale adjointe de la Préfecture des Bouches du Rhône (en Visio conférence), Monsieur Paul RAMACKERS de la DDEETS CODAF Gard (en Visio conférence).

Les deux syndicats ont accordé de favoriser que les victimes puissent se porter partie civile et puissent être représentées par un syndicat. Donc, la CFDT et l’UGT évaluent ensemble la meilleure stratégie. En attendant, les deux syndicats se proposent de servir de pont mutuellement pour l’accès au droit des travailleurs des deux côtés de la frontière.

Lucia Garcia-Quismondo et Antonio Garcia

Des liens pour en savoir plus :

Témoignages

Le système Terra Fecundis dénoncé. terre-net.fr

Des peines exemplaires prononcées dans l’affaire Terra Fecundis. herveguichaoua.fr