Télétravail, quel syndicalisme et quelle organisation du travail ?
À la rencontre et à l’écoute des salariés
Le télétravail, amplifié par la crise sanitaire, est aujourd’hui une réalité pour des millions de salariés. Si cette organisation du travail offre une flexibilité accrue, elle soulève également des enjeux cruciaux pour les employeurs, les salariés, et les partenaires sociaux. La CFDT, attentive à ces transformations, s’engage à en évaluer les impacts afin de garantir un dialogue social constructif. Lors d’une rencontre organisée le 5 décembre par la CFDT des Bouches-du-Rhône, la sociologue Sophie Louey a partagé ses dernières analyses sur l’impact du télétravail sur le collectif de travail et l’action syndicale. En parlant du télétravail et travail syndical, elle signale que :
« Le télétravail améliore les échanges et le fonctionnement des collectifs syndicaux (préparation de réunion, facilitée des réunions de section avec plus de monde, des coûts de trajets et de temps de transport annulés, des formations syndicales possibles pour des syndiqué·es partout en France; etc.) pour les activités descendantes ou qui ont lieu entre acteurs et actrices qui ont des liens forts –MAIS, il détériore les échanges pour les activités requérant une forme de proximité spatiale et des interactions de face à face –lorsque les personnes ne se connaissent pas ou peu ou lorsque les échanges sont conflictuels. Le télétravail accentue l’un des points noirs des réformes Macron : la perte de proximité, le travail quotidien auprès des salarié·es et in fine la légitimité de représentant·es de moins en moins visibles dans le quotidien des salarié·es. »
Francisco Martinez, chargé de mission à la fédération CFDT Chimie et Énergie, avec 20 ans d’expérience dans l’encadrement d’équipes en télétravail a aussi participé à cette rencontre. Francisco a apporté un éclairage spécifique et pratique sur l’organisation du travail avec des équipes en télétravail. Comment continuer à innover quand les équipes ne se rencontrent pas ? Comment palier le manque de moments pour des rencontres informelles qui permettent souvent de fluidifier les liens et trouver des solutions ?
Au préalable, nous avions proposé un questionnaire pour faire un point sur la situation du télétravail dans les Bouches du Rhône.

Télétravail : Une distance physique qui reconfigure les échanges
Selon Sophie Louey, le télétravail transforme les dynamiques relationnelles au sein des entreprises. Les salariés isolés physiquement éprouvent davantage de difficultés à exprimer leurs revendications ou à s’investir dans les collectifs syndicaux. Pour la CFDT le défi pour les syndicats est d’aller vers ces salarié⋅e⋅s tout en adaptant nos modes de communication.
Le dialogue social repose traditionnellement sur des interactions directes entre les représentants des salariés, les employeurs et les collaborateurs. Le télétravail, en rendant ces échanges moins spontanés, modifie profondément cette dynamique.
- Moins d’interactions informelles : Les couloirs, les pauses café, et les réunions physiques constituaient autant d’espaces pour échanger des idées, identifier des tensions ou construire des consensus. Avec le télétravail, ces moments se raréfient.
- Un accès inégal aux discussions : Les salariés en télétravail permanent peuvent se sentir marginalisés des discussions, notamment ceux qui ne participent pas aux instances représentatives physiques ou mixtes.
La sociologue Sophie Louey souligne que le dialogue social à distance tend à s’individualiser, au détriment de la dimension collective qui fonde l’action syndicale.
Un dialogue social bousculé par la distance
Le dialogue social repose traditionnellement sur des échanges en présentiel, facilitant les interactions directes entre représentants des salariés, direction et partenaires sociaux. Avec le télétravail, ces échanges sont désormais souvent virtuels, ce qui peut réduire la spontanéité des débats et limiter l’efficacité des négociations.
Sophie Louey fait comprendre que la dématérialisation des échanges syndico-patronaux tend à accentuer les asymétries de pouvoir. Les directions, mieux équipées technologiquement, peuvent imposer des formats numériques peu adaptés à des discussions nuancées ou à des revendications complexes.
Le dialogue social est également en évolution. Dans le secteur privé, les négociations portent de plus en plus sur des chartes ou accords encadrant le télétravail : droit à la déconnexion, équipements fournis par l’employeur, indemnités forfaitaires. Dans le secteur public, les discussions s’orientent davantage vers des garanties d’équité entre agents, notamment pour les postes jugés non télétravaillables.
Secteur privé et public : des perceptions contrastées
Dans le secteur privé, le télétravail est souvent perçu comme une opportunité de flexibilité, mais il peut exacerber les inégalités. Les salariés des grandes entreprises bénéficient généralement de meilleures conditions (matériels fournis, indemnités) que ceux des petites structures. Par ailleurs, certains secteurs, comme l’industrie ou le commerce de proximité, restent peu concernés par le télétravail, ce qui crée des disparités internes.
Dans le secteur public, le télétravail est encore souvent appréhendé comme une expérience exceptionnelle. Les agents expriment des besoins spécifiques en termes de formation et de support technique, tandis que certaines missions restent difficilement adaptables à distance. La crainte de créer une administration « à deux vitesses » – entre agents éligibles au télétravail et ceux qui ne le sont pas – anime les discussions.
De nouveaux défis pour la représentation collective
- Difficulté d’identification des besoins :
En l’absence d’interactions informelles, les syndicats doivent redoubler d’efforts pour capter les préoccupations des salariés. Par exemple, certains ressentent une surcharge de travail ou des pressions invisibles qui ne sont pas toujours exprimées explicitement dans les sondages ou consultations numériques. - Perte de visibilité des représentants syndicaux :
Le télétravail peut éloigner les salariés des instances représentatives. Sans présence physique, il devient plus difficile pour les syndicats de maintenir un contact régulier et personnalisé avec leurs adhérents. - Complexité des négociations virtuelles :
Les visioconférences, bien qu’efficaces pour gagner du temps, manquent parfois de la fluidité et de l’intensité des réunions en face-à-face. Elles peuvent également rendre les échanges plus formels, limitant les opportunités de compromis informels.
Face à ces défis : des innovations pour maintenir le lien
- Plateformes de consultation en ligne : Ces outils permettent de recueillir rapidement l’avis des salariés sur des thématiques comme les conditions de travail en télétravail ou les besoins en formation.
- Dialogues sociaux hybrides : La CFDT prône des formats mixtes, mêlant réunions physiques et virtuelles, pour rétablir un équilibre entre flexibilité et proximité.
- Formation des représentants syndicaux : Des modules sur la négociation numérique et la gestion des outils digitaux ont été intégrés aux parcours de formation interne.
La CFDT, forte de son approche pragmatique, milite pour un dialogue social renforcé où le numérique est un outil complémentaire, et non un substitut à l’humain.
Télétravail et dialogue social : un syndicalisme en pleine mutation
Le télétravail a redéfini les pratiques du dialogue social, forçant syndicats et directions à innover. Comme le souligne Sophie Louey dans son étude « Le collectif au défi du télétravail », la distance physique complexifie la captation des besoins des salariés et les échanges informels, éléments pourtant essentiels au dialogue social.
Une opportunité de renouveau pour le dialogue social
Malgré les défis, le télétravail offre des perspectives inédites pour renouveler le dialogue social :
- Participation élargie : Les outils numériques permettent d’inclure des salariés éloignés géographiquement.
- Flexibilité des échanges : Les formats hybrides combinent les avantages des réunions virtuelles et physiques.
- Innovation syndicale : En intégrant des consultations numériques, la CFDT a renforcé sa capacité à s’adapter et à répondre rapidement aux besoins des salariés.
Le dialogue social, bien que transformé, demeure un levier essentiel pour assurer que le télétravail soit un facteur de progrès pour tous.
Construire ensemble le télétravail de demain
Pour la CFDT, le télétravail est une opportunité à condition qu’il repose sur un cadre clair et équilibré. Dans un monde du travail de plus en plus hybride, le dialogue social doit intégrer cette nouvelle donne pour répondre aux attentes des salariés tout en préservant l’intérêt collectif. Secteur public ou privé, il s’agit avant tout de co-construire des solutions adaptées, inclusives et solidaires. La CFDT, par ses actions et ses engagements, entend rester un acteur clé de cette transformation.
Pour aller plus loin :
Télétravail, pratiques syndicales et sociabilités au travail. Un article signé par Sophie Louey, Jérôme Pélisse et Henri Bergeron publié par la Fondation Jean Jaurès en partenariat avec la CFDT . A télécharger ou lire ici : https://www.jean-jaures.org/publication/teletravail-pratiques-syndicales-et-sociabilites-au-travail
Le site de la CFDT Cadres est une vraie mine de ressources pour les salarié·e·s en télétravail. Là vous pouvez trouver le Guide CFDT Cadres · Négocier et organiser le télétravail .